Les cépages oubliés de France constituent un pan discret mais précieux du patrimoine viticole. Ces variétés, autrefois répandues dans les différentes régions, ont peu à peu disparu des vignobles, souvent au profit de cépages plus faciles à cultiver ou offrant des rendements plus réguliers. Pourtant, ces cépages anciens présentent des atouts gustatifs distincts. Leur redécouverte contribue non seulement à diversifier les saveurs accessibles au consommateur, mais aussi à soutenir la diversité biologique des terroirs viticoles.
Historique des cépages oubliés
L’évolution des cépages oubliés est étroitement liée à l’histoire générale de la viticulture en France. Avant le XIXe siècle, le pays comptait une grande diversité ampélographique, avec un grand nombre de variétés indigènes adaptées à leurs environnements respectifs.
Cette diversité a subi une forte régression à la suite de la crise du phylloxera qui a durement frappé les vignobles européens à la fin du XIXe siècle. Ce puceron originaire d’Amérique du Nord a causé des pertes massives, obligeant les vignerons à replanter en privilégiant des cépages mieux adaptés aux nouvelles contraintes.
La mécanisation de l’agriculture au XXe siècle a renforcé cette tendance à la simplification, faisant disparaître certaines variétés considérées comme plus délicates à cultiver. Par ailleurs, les réglementations viticoles ont souvent mis en avant quelques cépages principaux dans chaque appellation, au détriment d’autres variétés moins connues et moins compatibles avec les politiques de standardisation.
Ces dernières années, divers passionnés de viticulture ont réintroduit des cépages oubliés, participant à leur revalorisation. Plusieurs conservatoires viticoles permettent aujourd’hui de sauvegarder ce patrimoine génétique et des producteurs choisissent de les mettre en lumière via des cuvées dédiées.
Témoignages de producteurs engagés
De plus en plus de vignerons s’intéressent à ces cépages rares, participant activement à leur redécouverte.
Olivier Horiot, installé aux Riceys (Champagne), promeut l’Arbane et le Petit Meslier, deux cépages très peu cultivés. “Ces raisins font partie intégrante de notre histoire locale. L’Arbane apporte de la fraîcheur, tandis que le Petit Meslier propose une minéralité marquée, intéressante pour créer des profils inattendus.” Sa cuvée Soléra Brut Nature, réalisée avec plusieurs cépages, illustre cette approche personnelle.
Dans le Jura, Julien Mareschal du Domaine de la Borde s’intéresse au Melon à Queue Rouge : “Lorsque j’ai repris mes vignes, je souhaitais remettre à l’honneur des variétés locales. Ce cépage-là se distingue par son acidité délicate et ses arômes d’agrumes. Il demande beaucoup de soin, mais les résultats sont satisfaisants.”
Plus au sud, à Fronton, Diane Germain du Domaine Le Roc défend la Négrette : “Cette variété est emblématique de notre région. Elle est délicate à travailler, parfois imprévisible, mais elle donne des vins très expressifs, avec des notes florales et fruitées prononcées. Ce choix valorise notre ancrage local.”
Ces exemples reflètent la ténacité et la motivation de certains producteurs pour offrir une alternative aux classiques du monde viticole.
Caractéristiques et profils sensoriels
Les cépages oubliés possèdent une large palette de caractéristiques. En voici un aperçu :
Cépage | Région d’origine | Notes aromatiques | Observations sur la vinification |
---|---|---|---|
Arbane | Champagne (Aube) | Agrumes, vivacité | Maturité tardive, plus sensible aux maladies |
Petit Meslier | Champagne | Fraîcheur, citron | Très rare, utilisé pour son acidité |
Négrette | Sud-Ouest (Fronton) | Fruits noirs, épices, violette | Délicate, nécessite une macération courte |
Melon à Queue Rouge | Jura | Agrumes, pomme verve | Proche du Chardonnay, vinification locale traditionnelle |
Enfariné | Jura | Léger, végétal | Sensible à l’oïdium, utilisé pour vins blancs ou rouges légers |
Chasselas | Savoie / Suisse | Menthe, noisette, aubépine | Peu alcoolisé, vin ou raisin de table |
Counoise | Vallée du Rhône | Poivre, tension | Apporte de la fraîcheur dans les assemblages |
Chacun de ces cépages révèle des saveurs et des structures qui enrichissent l’offre actuelle en vin.
Circuits œnotouristiques à la découverte des cépages oubliés
Pour explorer ces variétés rares, plusieurs régions proposent des itinéraires viticoles permettant rencontres et dégustations.
Champagne : Dans l’Aube, la route des Coteaux du Barséquanais emmène les amateurs à la découverte des cépages comme l’Arbane et le Petit Meslier. Une halte au domaine d’Olivier Horiot ou chez Drappier permet d’en apprendre plus sur la composition de leurs cuvées intégrant ces raisins.
Jura : Le Conservatoire du Vignoble Jurassien, basé à Château-Chalon, organise des visites autour du Melon à Queue Rouge et de l’Enfariné. Des vignerons comme ceux du Domaine de la Borde ou du Domaine Labet illustrent la diversité de ces variétés locales.
Savoie : Sur la Route des Vins de Savoie, on peut encore découvrir le Chasselas, souvent méconnu aujourd’hui. Vin léger, il reste cultivé en petites quantités et séduit par son profil très délicat.
Sud-Ouest : Le circuit des Vins de Fronton met en lumière la Négrette. Des lieux comme le Château Le Roc ou le Domaine Plaisance proposent des dégustations accompagnées de récits sur le travail de réintroduction du cépage.
Ces visites sont l’occasion d’enrichir ses connaissances tout en vivant une expérience conviviale au contact de terroirs préservés.
Accords mets et vins originaux
Les vins issus de ces cépages anciens permettent des combinaisons intéressantes avec différents plats.
Les cuvées à base d’Arbane ou Petit Meslier, nerveuses et citronnées, se prêtent bien aux fruits de mer, aux légumes printaniers ou aux fromages de chèvre frais.
Les vins jurassiens réalisés avec le Melon à Queue Rouge ou l’Enfariné soulignent les plats typiquement locaux : fromages affinés, volaille en sauce à base de vin jaune ou poissons de rivière.
Le Chasselas accompagne facilement la cuisine savoyarde comme les fondues et raclette mais peut aussi souligner la finesse d’un filet de féra grillé.
Quant à la Négrette, ses notes florales et épicées s’associent aux viandes goûteuses, au cassoulet ou à des fromages pyrénéens.
Ces associations valorisent une approche régionale et sensorielle du vin, en sortant des classiques habituels.
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Défis et innovations agronomiques
Travailler avec ces cépages pose plusieurs questions techniques. Leur sensibilité aux maladies, leur rendement irrégulier ou leur adaptation locale peuvent freiner leur développement.
Quelques solutions émergent cependant :
- La sélection massale, consistant à replanter les meilleurs pieds de vigne, préserve la diversité génétique plutôt que de chercher l’uniformité, ce qui est un plus en période d’incertitude climatique.
- Des pratiques biologiques et biodynamiques permettent une culture moins intrusive. Des soins manuels et des produits naturels renforcent la vitalité des pieds tout en limitant les pertes.
- Le développement de porte-greffes adaptés aide à implanter ces cépages sur différents types de sols, tout en leur assurant une certaine résistance à la sécheresse ou au calcaire.
- Le travail des conservatoires tels que ceux gérés par l’Institut Français de la Vigne et du Vin permet une analyse constante du comportement de ces cépages, ce qui favorise leur retour progressif dans des exploitations.
Biodiversité viticole et enjeux environnementaux
Au-delà des considérations de goût, la culture de cépages minoritaires peut jouer un rôle dans la résilience des écosystèmes viticoles.
Le réchauffement climatique, en modifiant les équilibres naturels, met en évidence les limites d’un modèle basé sur un faible nombre de variétés. Le recours à des cépages moins connus, parfois plus résistants ou plus tardifs, peut représenter une alternative constructive.
Certains cépages oubliés survivent dans des sols pauvres, nécessitent peu d’irrigation, ou montrent une solidité face à certaines maladies. Leur diversité biologique enrichit également la faune locale et participe à un équilibre écologique favorable.
Des structures telles que le conservatoire de Vassal-Montpellier permettent de collecter, préserver et étudier plus de 7 000 variétés, constituant ainsi une ressource utile pour l’avenir de la filière viticole.
Ils ont souvent été écartés après la crise du phylloxera, car plus difficiles à travailler ou moins productifs. Des choix structurants réalisés au XXe siècle les ont ensuite laissés de côté.
Ces vins méritent qu’on prenne le temps de les découvrir. Ils peuvent dérouter au départ, mais gagnent à être associés à des plats adaptés.
Le plus souvent chez des vignerons spécialisés, ou via des cavistes et boutiques en ligne axés sur les petites productions.
Malgré leur faible volume de production, une certaine curiosité du public permet à ces cuvées de trouver leur public, notamment chez des consommateurs en quête de diversité.
Goûter les cuvées produites, visiter les domaines, en parler autour de soi sont des gestes simples qui aident à créer une demande pour ces vins atypiques.
Un retour progressif et porteur de sens
Les cépages oubliés forment une richesse insoupçonnée du paysage viticole français. Si leur culture reste parfois complexe, elle offre une alternative bienvenue à la standardisation.
Le travail de quelques vignerons, les recherches agronomiques et les attentes de consommateurs curieux contribuent à leur réintroduction. Ils apportent une diversité gustative, mais aussi une approche plus respectueuse des équilibres naturels.
En choisissant de les soutenir — que ce soit via l’achat, le voyage ou la rencontre directe avec les producteurs — chacun peut participer à la redécouverte d’un fragment de notre histoire viticole.
Sources de l’article
- https://www.latribune.fr/culture-lifestyle/dix-cepages-oublies-a-redecouvrir-995776.html
- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-bonnes-choses/tout-sur-les-cepage-4545422
- https://www.quechoisir.org/actualite-vins-l-histoire-secrete-des-cepages-interdits-n73627/